Interview de Drew Sullivan, rédacteur en chef de l'OCCRP

La Bosnie face à la radicalisation des jeunes

En 2016, le réseau de journalistes d’investigation des Balkans, BIRN, a publié une vaste enquête sur la radicalisation et le recrutement des combattants en Syrie et en Irak. Le phénomène n’est pas massif, mais reste inquiétant. Rencontre avec Denis Džidić, rédacteur en chef du BIRN à Sarajevo et co-auteur du rapport, qui évoque le problème du djihadisme chez les jeunes bosniens.

Décontracté et spontané, Denis Džidić nous reçoit dans son modeste bureau de Sarajevo. Âgé de 33 ans, il est le rédacteur en chef en Bosnie-Herzégovine du Balkan Investigative Reporting Network (BIRN), un réseau de journalistes d’investigation dans les Balkans. Rapidement, il nous explique le rôle du BIRN en Bosnie-Herzégovine. L’organisation se veut un réseau de journalistes et d’ONG qui favorisent la liberté d’expression, les droits de l’Homme et la démocratie.

Créé en 2003, quelques années après la guerre, BIRN compte aujourd’hui 30 salariés dans tout le pays, dont 15 basés à Sarajevo. Le fonctionnement du centre d’investigation s’articule autour de la vente des enquêtes des journalistes. Le BIRN propose également une plateforme radio et une émission de télévision. Leur travail est tourné vers l’investigation, la corruption, le terrorisme ainsi que le crime organisé. Le réseau a les moyens d’être indépendant grâce aux aides de fondations et d’ambassades occidentales, notamment les États-Unis.

En 2016, BIRN a publié une grande enquête sur la radicalisation et le recrutement des combattants en Syrie et en Irak. Dans ce rapport, les journalistes expliquent que la Bosnie est un pays particulièrement attractif pour l’autoproclamé « État islamique » (EI). Denis Džidić, co-auteur de l’enquête, explique les raisons : avec la guerre, beaucoup de Bosniens ont une formation militaire et beaucoup de jeunes sont aujourd’hui au chômage. Pour le journaliste d’investigation, « il n’y a pas de progrès », et toujours autant de difficultés pour les jeunes à trouver un emploi.

« La loi est silencieuse sur le problème des djihadistes »

La solution qui s’offre à eux reste l’émigration. La majorité des jeunes part s’installer pour le travail ou leurs études dans les pays d’Europe de l’Ouest, comme l’Allemagne, et souvent, ne revient pas. Mais, tous n’ont pas les capacités de quitter le pays. Par manque d’argent et surtout de travail, ils se retrouvent à vivre sous le toit familial plusieurs années durant ou après leur scolarité. L’État Islamique se nourrit de cette vulnérabilité. Pour leur propagande, les djihadistes ont même créé fin 2016 une version en bosniaque de leur magazine en ligne. Le journal, intitulé « Rome », est censé faire allusion à la chute de l’Empire romain, l’ancêtre de la civilisation occidentale.

Selon le BIRN, entre 2012 et 2015, 200 Bosniens ont rejoint les troupes de l’État islamique en Syrie et en Irak. Le phénomène n’est pas massif, mais pose question. Car leur âge tourne en moyenne autour de 27 ans, selon Denis Džidić. Sur ces 200 départs, trente d’entre eux auraient été tués dans le conflit, et 50 seraient revenus en Bosnie. Quarante sont sous enquête du procureur « pour avoir rejoint l’État Islamique » ajoute le rédacteur en chef du BIRN, qui déplore la passivité de la justice. « La loi est silencieuse sur ce problème ». Le journaliste bosnien explique qu’une peine de prison d’un an se règle souvent avec de l’argent ou se transforme seulement en quelques mois d’emprisonnement. À leur sortie de prison, les djihadistes se tournent à nouveau vers L’État islamique.

« Toute ville bosnienne a son propre paradzemat »

En Bosnie, selon le BIRN, 64 mosquées non officielles, aussi appelées paradzemat, sont recensées principalement dans les régions rurales et montagneuses. Selon le BIRN, elles favoriseraient la radicalisation. « C’est un phénomène répandu. Fondamentalement, toute ville bosnienne a son propre paradzemat », explique Ismet Veladzić, membre du Reisul-ulema, le cabinet de l’autorité supérieure de la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine (IZ), dans le rapport sur la radicalisation du BIRN. La communauté estime que ces mosquées non officielles ne possèdent aucunes autorisations et réclame leur fermeture. Un dialogue a été engagé avec les membres de ces mosquées non officielles, à la suite de quoi « la moitié d’entre eux ont accepté de rejoindre la communauté islamique de Bosnie-Herzégovine » précise Denis Džidić. Pour le rédacteur en chef du BIRN en Bosnie-Herzégovine, il reste aujourd’hui une vingtaine de paradzemat dans le pays qui maintiennent leur refus de rejoindre la communauté islamique de Bosnie.

En 2014, le gouvernement a pourtant tenté de mettre en place une stratégie de sensibilisation des communautés musulmanes dans les villages enclavés en 2014. Le but était de prévenir les risques encourus de rejoindre l’État islamique, notamment par des interventions dans les écoles. Il était aussi prévu de redresser la courbe du chômage, particulièrement fort dans ces villages, et de régler le problème de corruption. Mais cette stratégie n’a jamais été appliquée. À la place, le gouvernement a intensifié la surveillance et a multiplié le nombre de policiers. Ainsi, aujourd’hui, la radicalisation continue en Bosnie, mais le processus s’est vu affaiblir par la fermeture des mosquées illégales et une plus forte répression gouvernementale.

Valentine ZELER