Reims : entre passé et futur

En 1914, Albert Londres est envoyé par le quotidien Le Matin couvrir la destruction de la cathédrale de Reims. 100 ans plus tard, la ville a effacé les stigmates des années noires. Pas facile de se mettre dans la peau d’Albert Londres. Notre journaliste s’y est essayée ! Reportage.

« Ils ont bombardé Reims, et nous avons vu cela ! Nous venions d’Epernay. Reims nous apparut à 15 km. La cathédrale profilait la majesté de ses lignes et chantait dans le fond de la  pleine son poème de pierre. Nous ne la quittâmes plus des yeux. Nous avancions. »

 

Gilberto Güiza

Image d’archive de 1914 Gilberto Güiza

Nous arrivons de Laon. Les champs de blé défilent sous nos yeux. À perte de vue, blonds comme le soleil d’été. Quiétude silencieuse aux abords de Reims. Les premières maisons de la ville nous cachent la cathédrale.

« Nous gagnons la cathédrale. Ils l’ont visée ! Le parvis est troué à cinq endroits. Nous ne pouvons pas voir si elle est touchée, il fait trop noir. (…) Nous regardions la cathédrale. Dix minutes après, nous vîmes tomber la première pierre. C’était le 19 septembre 1914, à 7h25 du matin.  » 

 

Annalena Meyer-Freund

Annalena Meyer-Freund

Rue Libergier, elle nous apparaît de face, droite et majestueuse.
Seul un échafaudage lui défigure une partie de la face avant. Il témoigne de l’ancienneté des pierres. Hormis cela, rien ne laisse voir la destruction qu’a subie la cathédrale pendant la première guerre mondiale. Sur la façade avant : trois portails spectaculaires. Leur couleur blanche éblouit et contraste avec les pierres noires des façades, salies par les années. Gargouilles et anges déploient leurs ailes jusqu’en haut du clocher, à plus de 80 mètres du sol. Une infinité de statues témoigne du travail incroyable de rénovation réalisé après l’incendie de 1914. Entre le 3 septembre et le 3 octobre de cette année-là, les troupes allemandes ont bombardé la ville. Leur volonté : détruire la cathédrale, symbole de la monarchie française.
Cent ans après, plus de traces de guerre. Le monument au style gothique en impose à nouveau par sa beauté. Symbole d’une France qui s’est relevée.

 Marie Bourguignon

 Marie Bourguignon

« Tête nues, les femmes partent vers les champs. Elles sauvent leurs fils de la mort. Elles sont en groupe, par le haut, veulent nous dire ce qui se passe, qu’ils tirent sur Saint-Rémy, sur la cathédrale, partout, et qu’on n’y peut plus tenir ».

 La vie continue son cours aux abords de la cathédrale. Les cloches résonnent sur la place, sans troubler la marche tranquille des passants. Le chaos de 14-18 a fait place à la sérénité.
Le parvis de l’édifice débouche sur une lourde porte en bois, où se pressent les curieux. À l’intérieur, le regard se perd dans la profondeur du lieu. La voûte, immense, caractérise l’importance de l’église. Le baptême de Clovis, le couronnement de rois de France… l’histoire se lit dans les pierres et les vitraux colorés.

 Gilberto Güiza

Photo d’archive de 1914 Gilberto Güiza

« Il y a bien encore les voûtes, les piliers, la carcasse, mais les voûtes n’ont plus de toiture et laissent passer le jour par de nombreux petits trous (…)
« Deux lustres de bronze se sont écrasés sur les dalles. Nous entendons encore le bruit qu’ils ont sû faire. Des manches d’uniformes allemands, les linges ayant étanché du sang, de gros souliers empâtés de boue, c’est tout le sol. Comment l’homme le plus catholique pourrait-il se croire dans un sanctuaire !
Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. La cathédrale est un corps ouvert par un chirurgien et dont on surprendrait les secrets. »

 Annalena Meyer-Freund

 Annalena Meyer-Freu

Plus de poussière, ni de traces d’incendies. Le sanctuaire est intact.
Des cierges illuminent timidement quelques colonnes de pierres. Les flammes vacillantes consument lentement la cire. Le temps semble s’être arrêté dans ce lieu saint.
Au sol, une infinité de bancs précède l’hôtel, où trône une couronne de fleur. L’obscurité donne un sentiment de mystère. Quelques murmures viennent briser le silence religieux. Au fond de la cathédrale, un vitrail du peintre russe Chagall émerveille les badauds. Jaune, bleu, rouge, vert… les couleurs se mélangent et laissent filtrer quelques rares rayons de soleil. Mais la vraie stupéfaction provient de la rosace, en dessous de la porte d’entrée. Grandiose, elle se dévoile presque par hasard, aux curieux qui lèvent les yeux au ciel.
À l’extérieur, la clarté du jour nous ramène à la vie.
On est le 8 août 2014, à 15h30.

 

Annalena Meyer-Freund