Visite rêvée de l’exposition « Les désastres de la guerre »

Au Louvre-Lens, une exposition donne à voir les représentations de la guerre. La paix est-elle si utopique? Et si dans ce lieu, à côté des visiteurs d’aujourd’hui, se retrouvaient un soldat de Napoléon et une adolescente née en 2100? Que penseraient-ils? Fiction…

Pourquoi nous n’aimons plus la guerre ? Auguste décrypte l’écriteau à l’entrée du musée avec étonnement. Mais quelle question ! « Parce que Napoléon l’a tué » écrivait en substance Chateaubriand. Auguste se souvient de ce petit Corse qui rêvait de l’Europe. Napoléon, regardez-le. Il savait mener ses troupes. Sur le premier tableau de l’exposition, l’empereur trône. Son cheval se cabre avec majesté. Sous ses sabots, les noms d’Annibal et de Charlemagne. Napoléon piétine les plus grands. En arrière-plan, des soldats escaladent aisément les Alpes, dans un costume léger. Auguste sait, lui, que l’empereur était à dos de mulet, tiraillé par le froid. Il l’avait suivi sur le champ d’honneur… ou plutôt sur le champ d’horreur glorifié par la propagande des peintres.

Après les guerres napoléoniennes, l’art et les dirigeants belliqueux s’éloignent. Une première déchirure. Les artistes ne représentent plus seulement la gloire. Ils se plongent progressivement dans l’intimité du soldat. Dans la deuxième salle, un  tableau représente l’après-bataille. Les combattants de la guerre franco-prussienne en 1870 s’emmitouflent dans leur couverture. Mais ils semblent plutôt bien nourris sur le front. L’étaient-ils vraiment ? Les codes artistiques de l’époque classique sont toujours respectés. Peu sont squelettiques. Ils rêvent  de leur prochaine victoire.

A côté,  la guerre de Sécession de 1861-1865. Et l’apparition de la photographie, reproduite sous forme de gravures dans la presse. Les médias. Aux services de la guerre. Oui Auguste vous entendez bien. Et certains n’hésitent pas à modifier la réalité. Changer les cadavres de place, pour faire plus vrai, pour montrer l’horreur.  Il n’y a pas que sur les champs de bataille que l’on souffre. Cela vous étonne ? Les artistes se décalent. Montrent les civils. Chez eux, dans les rues. Sous les ruines des bâtiments.

Dans la pièce suivante, une série de photos témoigne des horreurs de 14-18. Finis les peintres sur les fronts, les photographes les remplacent. Les artistes hors-champ prennent du recul. Ils peuvent maintenant œuvrer pour des idées. L’effroyable Grande Guerre ne se soumet à aucune règle, sinon à celle de l’horreur. Avec elle, les courants d’avant-garde font tomber les codes classiques. Auguste vacille. La mobilisation est générale tant pour les armées que pour l’art. La violence transpire partout. Dans les traits, dans les couleurs, dans le nom d’un tableau intitulé sombrement « La guerre ». Si certaines œuvres décrivent des scènes, beaucoup se concentrent sur les émotions à transmettre. Un visage, deux soldats. Un bâtiment, des gueules cassés. Le visiteur ressent la douleur et la colère.

 Dans la pièce suivante, des tableaux ultra colorés ou absurdes se distinguent. Les artistes ne supportent-ils plus l’abomination des camps de concentration ? Les corps sont décharnés. Certains tableaux ou photos sont plus petits. Comme pour montrer que l’Humanité a été violée dans son intimité. Dans les dernières pièces, la guerre d’Indochine, celle d’Algérie. Le Viêtnam… Le Rwanda. En 1994, un tas de corps sans vie est empilé. Faut-il en dire plus ? L’artiste s’efface et laisse place à la réalité dont il s’inspire. Il est bien naïf, cet ancêtre de penser que les guerres d’Italie menées par Napoléon seraient les dernières. Mais les hommes n’ apprennent rien de l’histoire…

Dans un coin du musée, une petite fille pleure. Elle est née en 2100. Durant l’exposition, un seul mot se répète, sur tous les écriteaux, sur toutes les lèvres. Guerre. « Qu’est ce que ce mot veut dire ? » murmure-t-elle. Elle sort son dictionnaire. Rien.  Vous souriez?  Notre langage n’est-il pas le reflet du réel ? Est-ce possible un monde sans guerre ? Dans 100 ans ?

Et si y croire était le début de ce qui est aujourd’hui une utopie ?

Marie Bourguignon