Gardien de cimetière : une histoire de famille

Au fond du cimetière de Bitola, derrière les 6000 tombes des soldats tués pendant la Première Guerre mondiale se dresse une petite maison blanche, c’est là que vit Jani Kurteski, 66 ans, le gardien du cimetière.

Pavlina Kurteski et son fils Jani - Photographie : Virginie Favrel.

Pavlina Kurteski et son fils Jani Photographie : Virginie Favrel.

Une femme est à ses côtés. C’est sa mère Pavlina, âgée de 84 ans. Jani n’est ni le premier ni le seul de la famille à veiller sur les tombes des soldats. Son grand-père puis son père en avait eu la charge avant lui et son cousin Vasco est aujourd’hui le gardien du cimetière à Skopje.
« Bonjour, je m’appelle Jani. Bienvenue ! » C’est avec un plaisir non dissimulé que l’homme habitué aux visiteurs français, nous accueille dans la langue de Molière. Lorsque Pavlina Kurteski, la mère, comprend qu’elle sera photographiée, elle disparaît en toute hâte et troque son polo sali contre un joli tee-shirt fleuri. La vieille dame conserve néanmoins son jogging Adidas qui va très bien avec l’ensemble de sa tenue. Son fils Jani s’inquiète un peu dans son vieux pantalon kaki, troué de part et d’autres : « Ca va, si je reste habillé comme ça ? »
Commence ensuite l’histoire de famille. Sa mère, enthousiaste, tient à ajouter de menus détails, joignant le geste à la parole, tandis que leur petit chien Kiki sautille frénétiquement autour d’eux.
Jani avait dix ans lorsqu’il est arrivé ici avec ses parents et ses deux petites sœurs. En 1964, l’oncle de son cousin Vasco, leur parle du cimetière de Bitola dont personne ne veut s’occuper. Sans hésiter, la famille quitte Kurshevo pour s’installer dans le cimetière abandonné.

Un gardien jardinier

Jani se souvient qu’à l’arrivée de la famille Kurteski, il n’y avait rien sinon l’électricité de façon aléatoire.
« Le cimetière se trouvait dans la forêt au milieu des arbres et l’Ambassade de France de Belgrade a tout aménagé pour qu’on puisse s’installer ici mais l’eau n’est arrivée qu’en 1966 ! » s’exclame Pavlina.
C’est à ce moment qu’un certain nombre de rénovations ont été entamées pour faciliter la vie de la famille. La fierté au coin de l’œil, elle explique : « J’avais nourri tous les ouvriers, je faisais à manger pour tout le monde ! »
Elle se rappelle des directives données par l’Ambassade à l’époque : « On nous a bien dit qu’il fallait un cimetière très bien entretenu et avec de jolies fleurs ! » Des phrases qui résonnent encore dans la mémoire de la vieille femme.
Les fleurs et les plantes, c’est justement la passion de Jani. D’ailleurs, ses mains et ses doigts sont abimés par le travail de la terre. Depuis tout petit, il aide son père à entretenir le cimetière et prend beaucoup de plaisir à s’occuper des fleurs. Il est intarissable sur le sujet.

Gardien de père en fils

Remise de médaille au père de Jani Kurteski

Remise de médaille au père. Photo : Virginie Favrel

Tandis que ses deux petites sœurs se sont envolées vers d’autres horizons, Jani est resté avec ses parents. L’une est aujourd’hui psychologue et l’autre, devenue dentiste, a traversé l’Atlantique pour se marier aux États-Unis. A la mort de son père il y a 4 ans, Jani devient officiellement le gardien du cimetière de Bitola. Aîné et seul garçon de la famille, il est fier d’avoir pu prendre le relais.
La présence paternelle est encore omniprésente dans ces lieux. Jani nous invite à rejoindre le musée qui jouxte le salon. Il déniche plusieurs photos jaunies et nous tend, pas peu fier, un cliché qui représente son père décoré par un ministre français. On distingue l’homme qui reçoit une médaille en reconnaissance des « bons services rendus pour l’entretien du cimetière ». Jani doit désormais se montrer à la hauteur de l’héritage paternel.
On demande souvent à Madame Kurteski si vivre dans un cimetière et côtoyer les tombes de si près ne lui fait pas trop peur.
« Moi, j’ai peur des vivants ! C’est vous qui devriez avoir peur, nous on ne risque rien ! » dit-elle non sans humour.
Jani ne s’est jamais marié, il n’a pas d’enfant. Il veut rester ici jusqu’à sa mort. Qu’adviendra t-il du cimetière de Bitola après la dynastie des Kurteski ?
Jani a pensé à tout : « Comme ma sœur aime les fleurs, ça serait bien qu’un de ses fils s’occupe du cimetière après moi…maintenant, c’est à eux de voir ! »

Louise Pinton